Le déroulement de la cérémonie

La cérémonie du thé comprend normalement:

  • une première partie au cours de laquelle on sert une collation légère, le kaiseki;
  • une courte pause (nakadachi);
  • la partie principale de la cérémonie (goza-iri), au cours de laquelle on sert le koicha ou thé épais;
  • le service de l’usucha, ou thé fin. Le tout dure environ quatre heures mais, souvent, on se contente de l’usucha, qui prend à peu près une heure.

La première partie

Les invités, au nombre de cinq, se réunissent dans la salle d’attente. L’hôte vient les chercher et, par le sentier, les conduit à travers le jardin jusqu’au pavillon de thé. A un endroit du chemin, il y a un bassin de pierre plein d’eau claire. Les invités s’y lavent les mains et se rincent la bouche. L’entrée du salon est très petite. La pièce est équipée d’un foyer fixe et d’un brasero portatif, pour la bouilloire. Dès qu’il est entré, chaque invité s’agenouille devant le tokonoma – l’alcôve – et s’incline respectueusement. Puis, tenant son éventail plié devant lui, il admire le kakemono accroché au mur du tokonoma. Ensuite, il regarde de la même manière le foyer ou le brasero. Quand tous les invités ont fini de considérer ces objets, ils prennent place, l’invité le plus important s’asseyant le plus près de l’hôte. Quand l’hôte et les invités ont échangé les civilités d’usage, on sert le kaiseki, légère collation qui se termine par des sucreries. Ce terme japonais est inspiré des moines zen qui, lorsqu’ils étaient tiraillés par la faim, s’appliquaient sur l’estomac une pierre qu’ils avaient chauffé au préalable. Maintenant, il désigne un repas tout juste suffisant pour apaiser la faim.

Le nakadachi

Sur la prière de leur hôte, les invités se retirent et vont s’asseoir sur un banc qui se trouve dehors, dans le jardin intérieur, près de la pièce.

Le goza-iri

L’hôte frappe sur le gong suspendu près de la pièce pour indiquer que la cérémonie principale va commencer. La coutume veut, normalement, qu’il donne cinq ou sept coups. Les invités se lèvent et écoutent attentivement le son du gong. Après s’être approchés du bassin et avoir renouvelé le rite de purification, ils retournent dans le salon. Pour donner plus de lumière, un assistant retire les stores de cannis accrochés à l’extérieur, devant les fenêtres. Le kakemono a disparu du tokonoma qui est maintenant orné d’une composition florale, dans un vase. Le récipient d’eau pure et la boîte à thé en céramique sont déjà en place. Puis l’hôte entre, portant le bol à thé; le fouet de bambou est dans le bol, la cuiller posée dessus, en travers. Les invités examinent et admirent les fleurs et la bouilloire, comme ils ont admiré le kakemono et le foyer au début de la première partie. L’hôte se retire dans la salle de préparation et revient bientôt avec le récipient pour les eaux de rinçage, la louche et un support pour le couvercle de la bouilloire ou pour la louche. L’hôte essuie alors la boîte à thé et la cuiller avec un linge spécial, le fukusa, puis rince le fouet dans de l’eau chaude puisée dans la bouilloire et versée dans le bol à thé. L’hôte vide ensuite cette eau dans le récipient pour les eaux de rinçage et essuie le bol avec une serviette de toile de lin, le chakin.

L’hôte prend la cuiller et la boîte et verse du matcha (trois cuillerées par invité) dans le bol ; il puise une louche d’eau chaude dans la bouilloire, en verse le tiers environ dans le bol et remet le reste dans la bouilloire. Il bat ensuite la mixture avec le fouet jusqu’à ce qu’elle ait à peu près la consistance et la couleur verte d’une soupe aux pois assez épaisse. Le thé ainsi préparé s’appelle le koicha. Le matcha utilisé pour cette préparation est composé de jeunes feuilles prélevées sur des arbres à thé qui ont de vingt à soixante-dix ans d’âge, ou davantage. L’hôte pose le bol à la place voulue, près du foyer ou du brasero, et l’invité d’honneur s’approche, à genoux, pour le prendre. Après s’être incliné devant les autres invités, le premier invité pose le bol sur la paume de sa main gauche en le soutenant par le côté avec sa main droite. Il boit une gorgée, formule des compliments sur son goût, puis boit deux autres gorgées, ou davantage. Il essuie l’endroit du bol où il a bu avec le papier kaishi et passe le bol au second invité, qui boit et essuie le bol, comme le premier. Le bol est ensuite passé au troisième invité, et ainsi de suite. Quand le dernier des cinq invités a terminé, il repasse le bol au premier invité, qui le rend à l’hôte.

Le service de l’usucha

L’usucha diffère du koicha en ce que le matcha utilisé est composé de jeunes feuilles prélevées sur des arbres à thé qui n’ont que de trois à quinze ans d’âge. Cela donne une mixture verte, mousseuse.

Les règles observées au cours de ce service sont analogues à celles de la cérémonie du koicha. Les principales différences sont les suivantes:
– Le thé est préparé séparément pour chaque invité avec deux cuillerées de matcha, ou deux et demie. Chaque invité, normalement, boit tout son thé.

– C’est avec les doigts de sa main droite que l’invité nettoie la partie du bol que ses lèvres ont touchée. Il s’essuie ensuite les doigts sur le papier kaishi.
L’hôte sort du salon, emportant les ustensiles, puis revient s’incliner en silence devant les invités, indiquant par ce geste que la cérémonie est terminée.
Les invités quittent le sukiya. L’hôte les reconduit.

Après l’ère Meiji, ou le Chadô dans le japon moderne

Si le Cha no yu est délaissé durant les premières années de l’ère Meiji, il profite après d’un regain de faveur et se féminise. En effet, malgré l’époque de modernisation qu’est l’ère Meiji, le cha no yu résiste à l’occidentalisation du pays. Cela peut s’expliquer avec ces données :

Pendant des siècles, la pratique est réservée exclusivement aux hommes, l’émancipation de la société et des femmes a permis à l’art du thé d’être alors intégré dans le cursus scolaire féminin, se transformant même après la seconde guerre mondiale en phénomène de masse, certaines écoles possédant des centaines de milliers d’élèves.

L’apprentissage est finalisé par l’obtention d’un nom professionnel qui permet d’accéder à la qualité d’enseignant. Les femmes ayant eu un cursus scolaire court bénéficient notamment de cette promotion sociale et permet même à la gente féminine en générale d’acquérir un certain savoir-vivre en société. L’art se transmet ainsi via l’école et l’on compte donc aujourd’hui près de cinq millions de pratiquants. Entamée dès le début du 18ème siècle, la généralisation du système des écoles ayant à leur tête un grand maître, permet de constituer un réseau d’apprentissage du Cha no Yu. Au sein de la direction de l’école, les générations d’une même famille se succèdent. Ainsi le style et la tradition de l’école sont préservés. L’adoption permet de résoudre le problème du manque de successeurs. Le maître de thé est honoré par le titre de « chef de famille » ou « chef de lignée » (iemoto) et a tout pouvoir dans la direction de l’école. Aussi, il hérite des ustensiles à thé et des écrits qui ont appartenu au fondateur. Il transmet ses connaissances à ses disciples progressivement par voie écrite ou orale, puis offre à certains disciples le droit d’enseigner en son nom et celui de l’école. L’enseignement selon le système du iemoto suscite des polémiques car il repose sur une politique autoritaire datant de l’époque féodale, mais il faut admettre qu’il a permis de conserver et même de répandre l’art du thé au Japon. La plupart des écoles de thé fonctionnent avec le système du iemoto à l’exception de celles dont l’enseignement est inspiré du maître de thé Katagiri Sekishû (1605-1673) qui repose davantage sur l’individualisme ; il encourageait ses disciples à pratiquer le thé plus librement, à exprimer leurs propres aspirations et à fonder leur propre manière de faire. Au sommet de la hiérarchie des écoles de maîtres de thé, on trouve les trois lignées Sen que nous avons déjà citées précédemment, directement issues de Sen No Rikyû. Ura Senke, dont le siège est installé à Kyôto est dirigé par Sen Sôshitsu, le quinzième du nom, Mushanokôji Senke et Omote Senku sont les gardiennes de la tradition de Sen No Rikyû. Le maître Soshitsu Sen, 15ème de la lignée, dirige l’école de thé Ura Senke, qui considère Sen no Rikyû comme le premier de cette succession de grands maîtres.

Le cha no yu requiert des habilités très diverses dont quelques unes en rapport avec les autres arts hérités de la culture japonaise, comme la voie des fleurs (kadô) et la voie de l’encens (Kôdô). En effet, l’adepte de la cérémonie du thé doit avoir certaines connaissances culinaires, botaniques ainsi qu’un certain sens esthétique.

Outre la transmission de la technique du chanoyu, les maîtres du thé ont su apporter une nouvelle vigueur à l’art japonais. En effet, par le biais du courant wabi ils ont réveillé de nouvelles aspirations esthétiques élevant ainsi l’environnement artistique du wabi à un art national. C’est comme cela que des métiers populaires tels que ceux de l’artisanat sont désormais considérés comme essentiels dans la vie artistique japonaise, alors que la transformation du Japon en un état moderne avait freiné le travail artisanal en encourageant la production industrielle.

La pratique du Cha no yu implique l’utilisation de nombreux produits et ustensiles, dont certains sont en photo ci-dessous. Pour satisfaire cette demande des consommateurs, un grand nombre de commerces et d’artisans sont sollicités. D’une part, il existe des besoins devant être renouvelés à chaque cérémonie qui sont par exemple les fleurs, les douceurs servies avant le thé ainsi que les thé eux même. D’autre part, les instruments utilisés et les objets décoratifs font aussi l’objet d’un renouvellement régulier. Ce qui est un gain important pour l’économie locale de nombreuses villes japonaises. En revanche, ces boutiques proposent du matériel destiné au grand public ; les adeptes du chanoyu plus fortunés peuvent se procurer des œuvres d’artistes renommés et spécialisés dans l’art du thé. Ces artistes qui travaillent le bois, le bambou, la céramique ou même la fonte de fer ont un impact culturel important au Japon et sont parfois appréciés à l’égal des peintres occidentaux.

Les commerces traditionnels du thé renvoient une image d’excellence participant au renom culturel et touristique du pays. D’ailleurs, la pratique du Cha no yu est devenue l’un des attraits fondamentaux de la culture nipponne à l’étranger, car elle regroupe différentes formes artistiques du pays. Elle plaît à travers le monde pour sa capacité à allier un art culinaire à une quête spirituelle.

Dans cette modernisation de la cérémonie du thé, la dimension spirituelle peut s’en trouver un peu diminuée. Est en effet loin le temps de la cérémonie qui possédait des liens étroits avec la religion. Le matcha est même utilisé dans la composition de sorbets, glaces, gâteaux et boissons rafraîchissantes. En arpentant les rues japonaises, on peut aussi trouver des distributeurs automatiques qui proposent ce thé chaud ou froid dans des gobelets en carton ! Dans la vie quotidienne des japonais la dimension spirituelle de la voie du thé est donc un peu délaissée au profit de la simple dégustation.

Dans ce développement de l’éducation (de l’école primaire jusqu’à l’université) au profit de cette discipline traditionnelle, n’importe quelle personne venant de n’importe quelle strate sociale, tout âge, sexe et profession confondue (moines, hommes d’affaires, commerçants, étudiants, artisans…) peut pratiquer cette cérémonie. Aussi ce nouvel engouement est permis par un accès plus important à l’information. En effet, la publication d’ouvrages relatifs à la cérémonie du thé est multipliée et ce grâce à la maison d’édition Tankôsha, dépendant d’Ura Senke la principale lignée de maîtres de thé. Ces ouvrages, à l’aide de photos, expliquent au citoyen japonais comment il peut pratiquer le chanoyu chez lui, comment cuisiner le kaiseki, comment choisir les objets adéquats selon la saison, etc…

Cet engouement pour cette pratique montre peut être que les Japonais cherchent à retrouver des valeurs traditionnelles dans leur vie quotidienne stressante et empreinte de modernisme.
Alors les écoles développent des moyens d’informations nécessaires pour expliquer aux gens désireux de pratiquer cet art les méthodes adéquates. Des clubs se forment ; des musées proposent des dégustations et des expositions qui font de la voie du thé un art à part entière qui irrigue le domaine artistique de l’archipel (on peut même visiter des pavillons de thé en grandeur nature dans les musées privés); les entreprises organisent des réunions entre employés, partenaires et dirigeants, pour donner une image de marque à la société.

Quant au reste du monde, l’école de thé Ura Senke s’est ouverte aux Etats Unis, puis en Europe. Le maître de cette école, Soshitsu Sen, a passé sa vie à exporter l’art de la cérémonie du thé, d’abord chez les américains, à l’époque de l’après-guerre.

Aussi l’empreinte du chanoyu se retrouve dans l’architecture des habitats. En effet, les pavillons de thé qui ont gagné les villes à l’aube du wabi ont eu une forte influence sur la construction des maisons. Ainsi l’étroitesse et la complexité des espaces, l’utilisation de matériaux simples et l’imbrication des édifices et des jardins sont à l’image de ce que sont les pavillons de thé. Quant à l’architecture liée au monde du divertissement, elle s’inspire profondément de l’architecture du thé.

La cérémonie du thé a su charmer les Japonais au fil des siècles. Elle a résisté à l’évolution du Japon, d’un passage d’une ère traditionnelle à une ère moderne. Quelle influence a donc le chanoyu sur le Japon moderne ? Comment a-t-il survécu au bouleversement de l’ère Meiji ? Finalement la cérémonie du thé est plus qu’une dégustation, elle est l’invitation au partage d’une expérience spirituelle, une invitation à la méditation, un état d’esprit. Elle a traversé le temps parce que la recherche de la spiritualité n’est pas réservée qu’à nos ancêtres. Même si le monde se modernise, la quête du bien-être perdure à travers le temps. Cependant, la forme du chanoyu a subi quelques changements sous l’influence de la modernité et parfois quand même au détriment de la spiritualité. C’est la diffusion importante du chanoyu à travers le pays et le monde qui fait lui perdre de son prestige, et de sa symbolique. Néanmoins, l’enseignement en école a permis de conserver les idéaux des grands maîtres du thé, ainsi le chanoyu garde une forme traditionnelle. Nous pouvons ajouter que la cérémonie du thé est pour les occidentaux à l’image de ce qu’est le Japon : une estime des valeurs traditionnelles dans un monde à la pointe de la modernité. Le Japon conserve et revendique une empreinte des traditions grâce à la voie du thé qui a une place prépondérante dans la culture, l’économie et la vie quotidienne nipponne.

Sources

Bibliographie

  • Les arts de la cérémonie du thé, sous la direction de Christine Shimizu, éditions FATON
  • SOSHITSU SEN, « Vie du thé, Esprit du thé »
  • CHA NO YU The japanese tea ceremony, Adler
  • Le livre de thé de Okakura

Ressources internet

Retour: La cérémonie du thé – partie 2

Auteur: Benbenthepenguin

2 Réponse à “La cérémonie du thé”

    Error thrown

    Call to undefined function mysql_connect()