L’évolution de la cérémonie, ses influences, ses acteurs

A partir du 16ème siècle, la cérémonie exige un environnement particulier. En effet, la pièce dite de style Shoin où se déroule le Chadô comporte une alcôve ( Tokonoma 床の間), des étagères asymétriques et un bureau incorporé (shoin) destinés à exposer les objets d’origine chinoise.

Une salle spécifique (kaisho) est destinée à abriter les réunions de thé. On y recouvre le sol de nattes de pailles (tatami 畳) pour boire le thé à même le sol.
Cependant, les participants ne peuvent assister à la préparation du thé qui se déroule derrière un paravent ou dans une pièce voisine. Ainsi, la caractéristique du Chadô dans le cadre d’une construction Shoin est de boire et contempler les différents objets exposés dans la pièce.

La salle de thé est un espace vide, sans ornement, que le maître des lieux se doit de décorer avant chaque réunion de thé.
Cette décoration variera suivant l’hôte, son humeur, l’expérience, mais aussi les saisons de l’année.
La seule contrainte réside dans le fait de bien marier les éléments, tant au niveau de la couleur qu’au niveau des matériaux utilisés.

Présentation de chabana
Crédit photo : Holly Harvey
Un rouleau de parchemin, le kakemono, est accroché dans l’alcôve. Il est la manière la plus directe pour l’hôte d’annoncer le thème de la réunion à ses invités.

Il doit être donc choisi en conséquence, et également en fonction de la saison (un rouleau de parchemin évoquant l’été ne peut être mis en place pendant l’hiver).

Le Chabana est l’art d’arranger simplement mais élégamment des fleurs durant la cérémonie. Ses racines remontent au style plus formalisé de l’Ikebana, lui-même tirant ses origines à la fois du shintoïsme et du bouddhisme. Un style moins formel d’Ikebana avait été ajouté au style Rikka: le style Nageire ou style "jeté". Ce nouveau style avait moins de règles et plaisait à ceux qui recherchaient un aspect plus simple et naturel.

Les premiers maîtres de thé utilisèrent le style Nageire jusqu’à ce que celui-ci soit divisé en style Seika (fleurs pures) et style Chabana (fleurs de thé). Le style Chabana, qui ne contient aucune règle formelle écrite, est devenu le style standard d’arrangement floral durant un Cha no yu.

Les fleurs sont à l’image du coeur de l’hôte durant le Cha no yu. Le Chabana est une expression de la saison à travers des fleurs placées dans un simple vase ou un panier. Les matériaux utilisés pour les vases vont du bronze à la céramique vernie ou non, en passant par le bambou, le verre ou d’autres matériaux.

Pour créer un arrangement Chabana, l’hôte choisit d’abord des fleurs, puis un vase approprié. Aucun artifice n’est utilisé pour faire tenir les fleurs dans le vase, comme c’est le cas en Ikebana. L’arrangement final évoque un sentiment similaire à celui que l’on ressent dans l’environnement du jardin.

Les grands maîtres

La pratique du chanoyu s’enrichit, au cours des siècles, grâce à des emprunts à d’autres formes de réunions de thé qui se développent parallèlement et cela jusqu’à nos jours. Sous l’influence de ces différents facteurs qui n’ont cessé de poursuivre leur évolution jusqu’à aujourd’hui, le chanoyu a connu différentes phases successives.

Entre le moyen âge et la deuxième moitié du 16ème siècle, 3 figures majeures marquent l’évolution du chadô.
Nôami (1397 – 1471) maître de thé de la maison des shôgun Ashikaga codifie les règles de la préparation du Matcha (thé en poudre) dans la pièce de réception, shoin.

Le disciple du moine Ikkyû, le maître de thé Murata Shukô (1422 – 1502) introduit notamment des influences zen dans le chadô.

Yoshimara (1436 – 1490), conservateur de la collection d’art chinois du 8ème Shôgun d’Ashikaga, décore le Tokonoma d’un rouleau de calligraphie d’origine bouddhique. Il fait ainsi construire dans sa résidence un édifice, le tôgu-dô. Il comporte une pièce de 4 tatamis et demi, appelée dôjin-sai.

Cette pièce est une transition entre le style shoin dont elle conserve le cadre décoratif et la pièce à thé (Sukiya 数奇屋) de la période suivante, dont elle possède la surface.

Sur l’influence du maître Shukô, l’art japonais fait sa place au côté de l’influence chinoise en ce qui concerne les objets décoratifs de la pièce à thé.

Cependant, parmi les terres cuites japonaises, seuls les vases à fleurs, les récipients à eau froide (mizusashi dont vous trouverez une illustration plus bas), ceux à eaux usées (kansui 鹹水) seront acceptés aux côtés des pièces chinoises.

Ainsi, l’influence de ces œuvres japonaises repose sur une sensibilité artistique, celle de l’appréciation d’une beauté de l’imperfection et de la recherche de l’authenticité. Cette nouvelle tendance est connue sous le nom de Wabi.

Sensibilité Wabi : Les pavillons de thé

La pratique du Cha no yu n’est plus réservée à une élite de militaires et d’aristocrates, elle est désormais ouverte aux habitants des villes. Nara, Kyôto, ou Sakai sont symboliquement les berceaux de cette nouvelle sensibilité, générée par les riches marchands et artisans. D’ailleurs, Sakai est la ville d’origine de la majorité des grands maîtres de thé de cette époque.

Soshitsu Sen, dans « Vie du thé, Esprit du thé » définit l’esthétique du Wabi comme ce qui peut parfois être rendu par « ‘simplicité rustique’ […] Le wabi est un état d’esprit, mieux exprimé par des termes tels que frugalité, simplicité et humilité ». Par exemple, les bols à thé du wabi encore sous l’influence de l’art chinois sont importés de la péninsule coréenne, pour la plupart au 16ème siècle. A l’origine simples bols à riz, leur naturel et leur absence de prétention en font des objets de plus en plus recherchés. Cette époque voit s’édifier de plus en plus de pavillons rustiques évoquant une retraite paisible à proximité des résidences principales. Le caractère rustique de ces pavillons est en opposition avec la splendeur des habitations principales.

Ainsi, on comprend mieux ce que Soshitsu Sen écrit dans son ouvrage, « Il est bien naturel d’apprécier la beauté des fleurs en leur saison, mais découvrir celle des jeunes pousses sous la neige, voilà qui exige une sensibilité plus fine. »

Murata Sôju successeur de Shûko semble avoir compris la nuance du wabi. Il se fait construire au sein du quartier animé de Kyôto un pavillon de montagne ce qui lui vaut le surnom « d’ermite dans la ville ».

Takeno Joo (1502 – 1555) trouve son inspiration dans l’univers matériel des couches plus modestes de la population. Il est celui qui a enseigné le thé à Sen No Rikyû, son disciple le plus brillant, et dont l’influence reste déterminante même de nos jours.

L’introduction des pavillons de thé au sein des agglomérations, au cœur de la vie urbaine, témoigne de l’envie qu’ont les Japonais adeptes du Cha no Yu de s’exprimer dans le cadre de la vie quotidienne. On peut donc souligner que le Cha no Yu reste intégré au monde ordinaire.

Le triomphe de la sobriété avec Sen No Rikyû

C’est durant la deuxième moitié du 16ème siècle que le wabi prend sa forme aboutie et ce, grâce à Sen No Rikyû (1522 – 1591). Il est originaire d’une famille de marchands de Sakai, et responsable de tout ce qui concerne le thé auprès de Toyotomi Hideyoshi. Ses innovations consistent en la construction d’un pavillon rustique recouvert d’un toit d’herbes (Sôan) et un jardin d’accès (roji).

La pièce à thé est désormais réduite en surface et n’occupe plus, à partir du 16ème siècle, que 4 tatami et ½, voire 3 ou 2. Auparavant, la préparation se trouvait cachée derrière un paravent alors que Rikyû préconise la visibilité de la préparation par les participants en ajoutant un foyer dans la pièce.

Il instaure aussi la création d’une entrée étroite (nijiriguchi にじり口, にじる être accroupi, et 口 l’entrée) qui remplace les habituelles portes coulissantes et oblige les invités à se courber, voire s’accroupir pour pénétrer dans le pavillon.

Cette entrée marque la transition et même l’opposition entre le monde de la vie quotidienne et la recherche spirituelle par le biais du Cha no yu. Cette ultime étape de passage contraint aussi les participants à faire preuve d’humilité puisque son franchissement nécessite de s’incliner à terre. Aussi l’absence de paroi coulissante ne permet pas la pleine ouverture sur le monde extérieur. L’intérieur du pavillon est assez sombre, les fenêtres étant petites. Les critères de valeur de Sen No Rikyû pour le choix des objets qui ornent la pièce sont en opposition avec l’ancienne tradition du faste. D’ailleurs, il en limite le nombre, remplace la peinture de paysage par une simple calligraphie, opte pour des céramiques à l’aspect un peu fruste, et délaisse les habits de soie colorés pour se vêtir de toiles plus rudes aux couleurs brunes et sombres.

Ainsi, il nomme en japonais cette expérience métaphysique Wabi-Suki. Il cherche à éprouver le poids de l’existence au travers de la pauvreté matérielle. Le Cha no yu se divise en deux parties :

La première consiste en la préparation du thé fouetté à l’aide d’un fouet de bambou dont on ne connaît pas vraiment l’origine.

Photo d'un service de thé avec son fouet à thé.
Crédit photo : Morten Rand-Hendriksen

La deuxième partie comprend la prise d’un repas qui portera le nom de kaiseki.

En dehors de la dégustation du thé, le Cha no yu repose sur une dimension esthétique, les participants se délectant à la vue des objets choisis pour cette occasion. Sen No Rikyû favorisera l’émergence des lignées familiales en commandant des objets à des artisans japonais.

Les successeurs de sen No Rikyû et la diversification des pratiques de l’art du thé

Les trois grandes traditions du Cha no yu encore actives aujourd’hui apparaissent à la division des propriétés des Sen No Rikyû entre trois héritiers :

Ora Senke, Omote Senke et Musha no Kôji.

L’originalité est apportée par Furuta Oribe (1544 – 1615) disciple de Sen No Rikyû grâce à ses excentricités esthétiques comme la conception d’un bol en forme de chaussure.

Kobori Enshû (1579 – 1647) architecte et concepteur de jardin de Furuta Oribe introduit le raffinement dans la cérémonie du thé. Il instaure l’usage de porcelaines raffinées, décorées de motifs colorés et variés apportant une touche lumineuse aux intérieurs, jusqu’à lors sombre.

Tous ces personnages ont fortement influencé l’évolution du Cha no yu même si on compte encore un grand nombre de grands maîtres qui ont donné naissance à de nouvelles écoles.

Du thé fouetté au thé vert infusé

A partir du 17ème siècle, une nouvelle façon de préparer le thé émerge au Japon. Cette technique nouvelle née en Chine consiste à infuser les feuilles de thé dans une théière dont le contenu est versé dans des coupelles de fine porcelaine, d’où son nom de thé infusé qui se dit sencha 煎茶.

C’est un moine chinois qui introduit tout d’abord le thé infusé à Kyôto et dans ses environs puis Chûko Baisaô favorise sa diffusion à travers le pays.

Dans la première moitié du 19ème siècle, la consommation de thé infusé augmente. Depuis lors, il est devenu la principale boisson quotidienne à base de thé. L’usage du thé en poudre (Matcha) se limite désormais à la pratique du Cha no yu, et aux dégustations proposées dans les monastères et les auberges.

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Auteur: Benbenthepenguin

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