Le Japon féodal – partie 4

4. L’époque Sengoku 戦国時代 (1467-1573)

La faiblesse du shôgunat Ashikaga atteint un point de non retour en 1490 quand Hosokawa Masamoto 細川政元 renversa le shôgun et plaça sur le "trône" un homme à sa convenance. Hélas pour lui, les querelles de succession mirent un terme à l’influence de sa famille pour la désignation du Shôgun qui, du reste, n’avait plus aucune importance dans le Japon de l’époque. L’avenir du Japon se jouait ailleurs, dans les luttes de pouvoir entre Daimyô 大名.

Le rôle et l’importance des clans dans l’Histoire du Japon n’est pas neuve et a été soulignée au fil du récit. La nouveauté de cette période (appelée « Sengoku Jidai » en référence à la Chine et l’époque des « royaumes en lutte ») est que les daimyô s’autonomisèrent totalement de tout pouvoir central. C’est ainsi que certains shugo, ou leurs vassaux, voire de simples guerriers fondèrent ce qu’il convient d’appeler de petites « principautés » indépendantes qui faisaient la guerre avec leurs voisins, commerçaient, s’alliaient entre elles ou se trahissaient selon les circonstances. Cette période d’instabilité est souvent désignée sous le terme de « Gekokujô », « le monde à l’envers » c-à-d quand les inférieurs prennent la place des maîtres, quand les valeurs s’inversent, quand le monde est sans dessus dessous.

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Toutefois, cette période ne fut pas que guerrière. Afin de financer leurs petites expéditions, les daimyô avaient besoin d’argent et de ressources (minières, agricoles). Les mines fleurirent donc un peu partout au Japon. Des châteaux poussèrent et autour de ces châteaux : des villes. Ces villes pouvaient même devenir le fief d’une famille particulière. Parmi celles qui existent encore aujourd’hui, citons Hiroshima fondée par les Môri ou Shizuoka fondée par les Imagawa. Ces villes sont appelées « jôkamachi » 城下町 qui signifie « ville née d’un château »… On ne peut être plus clair !

Le néo-confucianisme prospéra également. Du fait des valeurs d’obéissance et de respect qu’il prône, il convenait en effet merveilleusement à une société guerrière mouvante ou les alliés d’aujourd’hui sont les ennemis de demain. Il fallait donc s’assurer de la fidélité de ses samurai et de ses sujets. Ce rôle de ciment sera conforté durant la période Edo sous la férule des Tokugawa.

Autre évènement majeur ; les Portugais (suivis par les Espagnols, les Hollandais et même les Anglais) commencent à faire activement du commerce avec certaines villes situées sur l’île de Kyû-Shû (1545). Nagasaki sera même fondée par un daimyô converti au christianisme sur les conseils avisés des marchands lusitaniens. Cette ville restera le principal contact de l’archipel avec le monde extérieur jusqu’en 1868 et la réforme de Meiji. Outre le christianisme, introduit par François-Xavier, les Portugais apportèrent aussi, involontairement cette fois, un autre cadeau précieux : les armes à feu. En effet, en 1543, un typhon providentiel fera échoué un navire portugais sur l’île de Tanegashima 種子島. Les arquebuses retrouvées dans l’épave, ainsi que quelques survivants, permettront aux Japonais de produire rapidement et en série cette arme nouvelle qui jouera un rôle décisif dans les luttes entre daimyô.

Il est bien entendu impossible, sinon très fastidieux, de retracer l’ensemble des histoires de tous les daimyô de l’époque Sengoku. Dans un souci de schématisation, deux lignées très représentatives seront ici présentées : les Hôjô 北条 et les Takeda 竹田. L’histoire de cette dernière famille permettra de faire le lien avec la période suivante.

a) Les Hôjô

Ce clan illustre parfaitement le fameux « gekokujô » qui régnait à l’époque. Le fondateur de cette famille s’appelait Ise Shinkuro Nagariji. Il changea de nom pour adopter celui d’Hôjô (très prestigieux) et adopta le « prénom » de Sôun quand il adopta une vie religieuse à la fin de sa vie. Bref, l’histoire le connaît sous le nom de Hôjô Sôun. Au départ simple vassal d’Imegawa Yoshitada, shugo de la province de Surugo, il connaîtra une ascension sociale rapide. Pour les services rendus à son seigneur, il recevra le château de kôkokuji et la péninsule d’Izu. En 1490, il conquiert le château d’Odawara qui deviendra une puissante forteresse et le siège de sa famille sous le règne de son fils. La conquête du château d’Odawara sera apparemment faite sans mal, Hôjô Sôun ayant fait assassiné le Seigneur local lors d’une partie de chasse.

Son fils, Hôjô Ujitsuna (1487-1541), continuera son œuvre, conquérant Edo 江戸 (auj. Tôkyô), alors simple village fortifié qui ne deviendra la capitale du Japon qu’avec l’avènement des Tokugawa. Il s’emparera de toute la province de Musashi, ce qui lui vaudra des années de guerre avec les anciens propriétaires, les Uesugi 上杉. Ceci marqua le début d’une longue période de guerre entre les Hôjô, les Uesugi et les Takeda (avec alliances et traîtrises…) pour le contrôle du Kantô 関東.

Hôjô Ujiyasu (1515-1570) fut le troisième de la lignée. De son vivant, il affronta les deux plus puissants représentants des familles adverses : Uesugi Kenshin (en fait un vassal des Uesugi qui s’était fait adopté par le dernier survivant de la famille Uesugi, décimée par la guerre) et Takeda Shingen. Sa vie ne fut qu’une suite de bataille mais à sa mort, les Hôjô contrôlait le Kantô.

Le dernier représentant de la famille Hôjô est Ujinao (1562-1591). Il fut défait par Toyotomi Hideyoshi豊臣秀吉 après ce qui fut le plus long siège de l’histoire médiévale nippone, à Odawara en 1590-1591. Hideyoshi alla même jusqu’à construire une ville autour de la ville ! Et afin de décourager son adversaire, il y menait plutôt grand train…

b) Les Takeda

Contrairement aux Hôjô qui étaient d’ « humble » extraction ; les Takeda pouvait s’enorgueillir d’être les descendants des premiers shugo placés dans la province de Kai, leur fief, à l’époque de Kamakura. Le plus célèbre de ses membres (hormis sa puissante cavalerie) est sans aucun doute Takeda Shingen (1521-1573). Son véritable nom était Takeda Harunobu mais il adopta le nom de Shingen en même temps qu’une vie religieuse. Il est d’ailleurs souvent représenté portant un kesa 袈裟 (une tunique bouddhiste) au-dessus de son armure. On peut le considérer comme le plus illustre des moines guerriers.

Sa puissance en faisait le plus grand rival d’Oda Nobunaga. Celui-ci su manœuvrer habilement pour vaincre les Takeda en utilisant son allié Tokugawa Ieyasu tout en raffermissant son emprise sur le reste du Japon.

C’est ainsi qu’après la destruction du Mont Hiei par les troupes de Nobunaga, Takeda Shingen lui déclara ouvertement la guerre pour venger cette destruction, lui-même étant un religieux.

Son premier but était de vaincre les armées de Tokugawa Ieyasu, allié de Nobunaga dont le fief se trouvait sur son chemin. Il fit donc d’abord la paix avec les Hôjô pour avoir les coudées franches et quitta sa province de Kai avec son armée en 1572.

La bataille opposant les Takeda aux Tokugawa eu lieu à Futamata la même année : la cavalerie Takeda chargea sur les soldats à pied de Ieyasu ; ceux-ci surpris et désorganisés furent facilement vaincus. Le restant des troupes de Ieyasu se replia à Hamamatsu où il reçut quelques renforts de Nobunaga. Au lieu d’attendre Shingen et de préparer le siège, Ieyasu choisit de sortir et de l’attaquer de front dans la plaine de Mikata. A nouveau la cavalerie Takeda écrasa son armée très facilement (on raconte qu’Ieyasu ne serait revenu au château d’Hamamatsu qu’avec 5 hommes !). Le siège du château d’Hamamatsu eu donc bien lieu.

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Bataille de Mikata menée par Takeda Shingen

Dans une formidable opération de désinformation, Ieyasu parvint à faire croire à l’ennemi que le château d’Hamamatsu était tenu par une formidable armée d’arquebusiers. Il alla même jusqu’à harceler les cavaliers Takeda dans leur campement. En rangs serrés, les arquebusiers faisaient feu sur les chevaux. La cavalerie chercha à faire demi-tour mais chuta dans un ravin en essayant de traverser un pont construit à la va-vite. Si au lieu de se préparer à un siège, Shingen avait attaqué de immédiatement le château, le visage du Japon en aurait sans doute été radicalement changé car jamais Ieyasu n’aurait pu lui résister !

Au lieu de cela, l’hiver approchant, Shingen préféra vider les lieux. Il revint en 1573 mais fut abattu par une balle dans la tête tirée depuis les remparts alors que, selon la légende, il s’était approché pour écouter un joueur de flûte. Son fils Katsuyori prit sa suite mais fut vaincu à Nagashino par les armées jointes de Nobunaga et Ieyasu. Les Takeda y perdirent la plupart de leurs meilleurs soldats: la cavalerie fut impuissante contre des arquebusiers bien organisés en plusieurs rangs cachés derrière des palissades. Katsuyori finira par se suicider en 1582.

Pendant ce temps, Nobunaga ne faisait que se renforcer…

Bibliographie

HÉRAIL Francine, Histoire du Japon, des origines à la fin de Meiji, P.O.F., Paris, 1986.
ELISSEEFF Danielle, Histoire du Japon, Éd. du Rocher, Paris, 2001.

FRÉDÉRIC Louis, Le Japon : Dictionnaire et civilisation, Robert Laffont, Paris, 1996.
SOUYRI Pierre-François, Le monde à l’envers: La dynamique de la société médiévale, Maisonneuve & Larose (1998),Paris,1998
TURNBULL S., War In Japan, Oxford, Osprey, 2002.

TURNBULL S., Japanese Warrior Monks, Oxford, Osprey, 2003.
DELLAY N., L’estampe Japonaise, Paris, Hazan, 2004.

Sources photos

http://www.fas.harvard.edu
http://www.japonia.org.pl
w1.avis.ne.jp
http://www.samurai-archives.com

icon Auteur: Duncan

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