Takeda Shingen

Pendant la plus grande partie du siècle qui suivit la guerre d’Onin, de 1467 à 1477, tout le Japon fut secoué par des luttes intestines continues menées par des Seigneurs dont le but ultime était le pouvoir autonome. Ceci mena le pays à un tel chaos que des conflits commencèrent à tous les niveaux de la société ; les paysans se rebellèrent contre leurs seigneurs, les soldats contre les généraux et ces mêmes seigneurs entre eux.

Alors que l’organisation gouvernementale s’effritait, l’idée du gouvernement autonome se propageait de plus en plus à travers le pays. Près de la capitale, Kyoto, des paysans résistèrent avec succès au paiement des taxes en s’unissant en de fortes associations nommées "IKKI". Les marchands de saké et de riz se réunirent pour reconstruire la capitale meurtrie par les longues années de guerre et pour résister à la dépravation militaire. Les chefs de la plus célèbre secte salvationiste "IKKU" devinrent assez puissants pour chasser le gouverneur provincial de KAGA, sur la côte de la mer du Japon en 1486 et parvinrent à garder un gouvernement territorial autonome jusqu’en 1576. De cette façon, les paysans, les marchands et d’autres groupes non militaires se rallièrent pour saisir le contrôle de leurs propres affaires pendant que les grands seigneurs perdaient leur pouvoir sur les campagnes, en essayant de le garder intact selon l’ancien système du "Shûgô". Pourtant, les véritables vainqueurs de ce chaos politique étaient les Seigneurs de l’Est qui, profitant du conflit, développèrent leur propre organisation militaire et politique. Ces nouveaux chefs, Seigneurs des provinces en guerre (Sengoku Daimyo) ont marqué l’histoire du Japon de leurs exploits dramatiques et des formidables batailles qu’ils se sont livrées.

Depuis la fin de la guerre d’0nin, les Daimyo enrôlaient les guerriers campagnards à leur service et étendaient leur pouvoirs sur l’agriculture et le commerce. Parmi les héros de cette dramatique période, ce fut TAKEDA SHINGEN, Shûgô de la province de Kai (l’actuelle Yamanashi-Ken) qui prouva être le Seigneur des seigneurs de guerre.

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La province de Kai était l’endroit idéal pour la construction d’une machine de guerre efficace. Juste à l’ouest de la grande plaine du Kanto, le centre des cultures de riz du Japon, elle n’offrait aucun intérêt particulier aux autres Seigneurs. Un voyageur venant de l’ouest (donc de l’actuel Tokyo) entre dans la province de Kai par son côté nord-est pour se trouver face à un bassin sillonné par de nombreux torrents émanants de la chaîne de montagnes se trouvant au Nord. Les quelques quatre mille kilomètres carrés du bassin de Kai sont coincés entre les alpes japonaises, 80 km de l’autre côté du bassin à l’ouest, et le mont Fuji, 50 km au sud. Durant la première partie du 16e siècle, les TAKEDA, gouverneurs héréditaires de la province, forcèrent les petits hobereaux de la région à se soumettre à leur autorité politique. Shingen, qui parvint à la tête du clan en 1541, hérita d’une province pacifiée mais sujette, comme la plus grande partie du pays, à la famine et durement touchée par les catastrophes naturelles. Sa finesse en tant que gouverneur civil concurrence les résultats obtenus par le fameux Hôjô Sôun, le premier innovateur des seigneurs de l’Est, en pourvoyant de l’aide aux désastres agraires. La renommée de Shingen sur les champs de bataille, faite au long de plus de trente années de guerre continuelle, alimente les histoires de stratégie classique et d’éclats dans le dangereux jeu de la guerre…

Les Daimyos formèrent un nouvel ordre en forgeant des liens directs entre tous les groupes compris dans leurs territoires, hommes de guerre, marchands, artisans et artistes, paysans compris. Pour accomplir cela, ils placèrent un contrôle strict sur l’administration agricole, puisque le riz restait la ressource économique principale du pays. Les centres de production du riz étaient devenus indépendants du système centralisé à Kyoto dès les premières années du 16e siècle. Cependant, l’agriculture restait aux mains des petits seigneurs locaux qui employaient la main-d’œuvre et les ressources matérielles de la même façon que nos barons le faisaient durant notre Moyen-Age.

TAKEDA Shingen fut parmi les premiers Daimyo à proclamer le nouvel ordre, brisant la main-mise de ces petits seigneurs. En les absorbant les uns après les autres, Shingen essaya -et réussit- à les forcer à s’engager comme officiers dans son armée ou dans son administration. Dans la province de Kai, les TAKEDA réussirent à maintenir leur poste de gouverneur durant l’instable période qui succéda à la guerre d’Onin jusqu’à la défaite finale, en 1582. La stratégie du jeu des alliances pour maintenir le contrôle politique de 1498 à 1541 fut un modèle du conflit qui s’étendait en guerres internes depuis l’invasion de la province en 1501 par les Hôjô. L’unique habileté des TAKEDA fut seule capable, par des manoeuvres politiques sur les turbulents guerriers de Kai, d’éviter les attaques extérieures. Depuis le 12e siècle, la tâche des gouverneurs avait été d’agir pour le compte du Shôgunat de Kamakura (1185-1333), avec comme devoirs d’enregistrer les guerriers en vue d’un service militaire et d’arrêter les félons. Graduellement, les gouverneurs (Shugô) étendirent leurs pouvoirs. De 1336 à 1392, une longue lutte opposa la Cour Impériale et le gouvernement (Bakufu) de Muromachi (du nom du quartier de Kyoto où se trouvait la résidence des Shogun ASHIKAGA), qui déposa l’empereur et établit une autre Cour dite du Nord en opposition à celle du Sud de l’empereur rebelle GO-DAIGO. Le gouvernement militaire accorda le droit de lever des taxes aux Shugô, spécialement dans un but d’intendance, mais une fois la guerre terminée, les TAKEDA continuèrent à les lever. La richesse qui provenait de ces taxes et de l’expansion des droits administratifs sur la production du riz apporta, au niveau local, un avantage décisif lorsque le gouvernement se désintégra à la fin du 15e siècle.

L’offensive des TAKEDA sur le Shinano eut lieu en 1520. Le père de Shingen. Nobutora, échelonna ses attaques durant les années trente, et Shingen continua la campagne jusqu’au début des années soixante. Le but de cette offensive vers le Nord était de soumettre les nombreux guerriers du Shinano au contrôle des TAKEDA. Leur indépendance aurait été un constant danger pour Shingen s’il avait tenté une confrontation avec les Seigneurs de l’Ouest dans une attaque prématurée sur Kyoto. Le premier pas que Shingen se devait de faire pour atteindre ses rêves d’unification du Japon était de sécuriser les frontières nord de sa petite province montagneuse. Après, le sud lui serait ouvert. Les incessants combats remportés par les TAKEDA leur apportèrent un flot de nouveaux guerriers pour alimenter leur machine de guerre…

Le passage direct entre Kai et Kyoto était bloqué par les Alpes japonaises, du sud à l’ouest. Donc les lignes de communication furent transportées vers le sud-est, à travers la région des lacs du mont Fuji jusqu’à la baie de Suruga. De là, on peut voyager vers l’ouest par terre ou par mer jusqu’à Kyoto… La frontière entre Kai et Shinano étant une chaîne de pics montagneux connus actuellement sous le nom de "Suisse japonaise", le rythme des batailles devint dépendant de la fonte des neiges. Les assemblées politiques et les rituels religieux étant accomplis durant les hivers rigoureux et la stratégie militaire testée du printemps à l’automne. En plein milieu de l’hiver, on planifiait l’organisation des provisions pour les offensives de printemps. L’intendance de Shingen est connue pour être à l’origine de beaucoup de manufactures de la période Edo. Avec une armée de plus de cinquante mille hommes dont environ le quart était de la cavalerie, le gouvernement des TAKEDA faisait face à de constant problèmes logistiques et financiers. Ceux-ci furent résolus de la façon la plus simple : l’augmentation des taxes… Shingen conservait la loyauté de ses guerriers (Bushi) en leur assignant des terres à production réglementée. En échange des revenus de ces terres, le guerrier offrait un service militaire approprié. Shingen imagina des taxes ad hoc de tous types et leva des taxes de résidence directement auprès des paysans pour augmenter ses revenus et pour éviter le vieux système de rente sur le riz aux mains des petits seigneurs locaux. Il plaça des taxes au passage des frontières pour les nombreux pèlerins venant aux sanctuaires du mont Fuji. De ce fait, il fut loué pour son habileté en administration publique par les autres grands seigneurs de l’époque, et tout nous indique que la machine de guerre des TAKEDA reposait autant sur sa politique civile que sur ses exploits sur les champs de bataille.

En dépit de ses succès chez lui, la technologie de l’époque n’était pas encore assez avancée pour pourvoir aux besoins de tous. Les paysans continuaient à souffrir de la faim les mauvaises années mais, quoique ceux-ci portaient le poids du financement du rêve de conquête de Shingen, le niveau des cultures fut certainement amélioré par le programme de travaux publics institué par lui. Le plus fameux de ces travaux fut l’érection d’un système de digues le long des rivières principales du centre de Kai. Il utilisa des ouvriers locaux, abandonnant des taxes aux villages en échange des travaux de la même façon qu’il abandonnait des taxes aux guerriers pour leur service militaire. Les anciennes forteresses des territoires conquis furent aussi reconstruites dans la même intention de rejoindre les besoins locaux autant que possible.

Avec l’augmentation de l’activité fiscale, Shingen dût engager de plus en plus d’hommes dans son administration. Son organisation gouvernementale, le "Kashindan", était formé du même moule hiérarchique féodal qui caractérisait ceux des autres seigneurs. Mais pendant que ceux-ci souffraient plus du danger que représentaient leur propres vassaux que d’une menace extérieure, Shingen était à la tête d’une troupe loyale. Beaucoup de ces Guerriers-fermiers étaient des branches de la maison TAKEDA. Cela incluait de fameux généraux comme ITAGAKI, AKIYAMA, AMARI, ANAYAMA, etc… qui prirent souvent leurs noms des localités qu’ils administraient. La plupart de ces maisons restèrent loyale à la famille TAKEDA pendant les quatre cents ans qui suivirent la séparation en différentes branches, au 12e siècle. Pourtant les étrangers étaient aussi les bienvenus dans le Kashindan… Fins stratèges, valeureux guerriers, prêtres, érudits, poètes, artistes en tous genres et conteurs, tous venaient à Fuchû (actuelle Kôfû) comme conseillers du Seigneur. Une remarque de l’époque explique avec concision ses succès.

Expliquant à ses vassaux qu’il n’avait pas besoin de nouveaux châteaux à Kai, il fit : "Les hommes et les femmes de Kai sont mes forts, mes murailles, mes douves. Nous montrons de la compassion pour nos amis et vengeance pour nos ennemis."

icon Auteur: Tetsuya

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