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Lusitano Nanbanjin
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Sujet du message : Re: Poésie Publié : 21 Mars 2008, 21:10 |
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Inscription : 29 Mai 2006, 18:39 Message(s) : 648 Localisation : Nord Âge : 38
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La mort du Loup
Les nuages couraient sur la lune enflammée Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée, Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon. Nous marchions, sans parler, dans l'humide gazon, Dans la bruyère épaisse, et dans les hautes brandes, Lorsque, sous les sapins pareils à ceux des landes, Nous avons aperçu les grands ongles marqués Par les loups voyageurs que nous avions traqués. Nous avons écouté, retenant notre haleine Et le pas suspendu. - Ni le bois ni la plaine Ne poussait un soupir dans les airs; Seulement La girouette en deuil criait au firmament; Car le vent, élevé bien au-dessus des terres, N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires, Et les chênes d'en bas, contre les rocs penchés, Sur leur coudes semblaient endormis et couchés. Rien ne bruissait donc, lorsque, baissant la tête, Le plus vieux des chasseurs qui s'était mis en quête A regardé le sable en s'y couchant ; bientôt, Lui que jamais ici l'on ne vit en défaut, A déclaré tout bas que ces marques récentes Annonçaient la démarche et les griffes puissantes De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux. Nous avons tous alors préparé nos couteaux, Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches, Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient, Et je vois au delà quatre formes légères Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères, Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux Quand le maître revient, les lévriers joyeux. Leur forme était semblable et semblable la danse; Mais les enfants du loup se jouaient en silence, Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'a demi, Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi. Le père était debout, et plus loin, contre un arbre, Sa louve reposait, comme celle de marbre Qu'adoraient les Romains, et dont les flancs velus Couvaient les demis-dieux Rémus et Romulus. Le loup vient et s'assied, les deux jambes dressées, Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées. Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris, Sa retraite coupée et tous ses chemins pris; Alors il a saisi dans sa gueule brûlante, Du chien le plus hardi la gorge pantelante, Et n'a pas desserré ses machoires de fer, Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles, Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles, Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé, Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé. Le loup le quitte alors et puis il nous regarde. Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde, Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang; Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant. Il nous regarde encore, ensuite il se recouche, Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche, Et sans daigner savoir comment il a péri, Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre, Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre A poursuivre sa louve et ses fils qui, tous trois, Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois, Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve; Mais son devoir était de les sauver, afin De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim, A ne jamais entrer dans le pacte des villes Que l'homme a fait avec les animaux serviles Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher, Les premiers possesseurs du bois et du rocher.
Hélas! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'hommes! Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes! Comment on doit quitter la vie et tous ses maux, C'est vous qui le savez sublimes animaux! A voir ce que l'on fût sur terre et ce qu'on laisse Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse. - Ah! je t'ai bien compris, sauvage voyageur, Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur! Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive, A force de rester studieuse et pensive, Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté Où, naissant dans les bois j'ai tout d'abord monté. Gémir, pleurer, prier est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tâche Dans la voie où le sort a voulu t'appeler, Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.
Alfred De Vigny
_________________ [center]Impermanence Comment décrire ce monde – un oiseau aquatique De son bec perle une goutte où se mire le reflet de la lune.[/center][center]Eihei Dôgen[/center]
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Lusitano Nanbanjin
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Sujet du message : Re: Poésie Publié : 21 Août 2009, 22:47 |
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Inscription : 29 Mai 2006, 18:39 Message(s) : 648 Localisation : Nord Âge : 38
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La plume de Satan
La plume, seul débris qui restât des deux ailes De l'archange englouti dans les nuits éternelles, Était toujours au bord du gouffre ténébreux. Les morts laissent, ainsi quelquefois derrière eux Quelque chose d'eux-même au seuil de la nuit triste, Sorte de lueur vague et sombre, qui persiste.
Cette plume avait-elle une âme ? qui le sait ? Elle avait un aspect étrange ; elle gisait Et rayonnait ; c'était de la clarté tombée.
Les anges la venaient voir à la dérobée. Elle leur rappelait le grand Porte-Flambeau ; Ils l'admiraient, pensant à cet être si beau Plus hideux maintenant que l'hydre et le crotale ; Ils songeaient à Satan dont la blancheur fatale, D'abord ravissement, puis terreur du ciel bleu, Fut monstrueuse au point de s'égaler à Dieu. Cette plume faisait revivre l'envergure De l'Ange, colossale et hautaine figure ; Elle couvrait d'éclairs splendides le rocher ; Parfois les séraphins, effarés d'approcher De ces bas-fonds où l'âme en dragon se transforme, Reculaient, aveuglés par sa lumière énorme ; Une flamme semblait flotter dans son duvet ; On sentait, à la voir frissonner, qu'elle avait Fait partie autrefois d'une aile révoltée ; Le jour, la nuit, la foi tendre, l'audace athée, La curiosité des gouffres, les essors Démesurés, bravant les hasards et les sorts, L'onde et l'air, la sagesse auguste, la démence, Palpitaient vaguement dans cette plume immense ; Mais dans son ineffable et sourd frémissement, Au souffle de l'abîme, au vent du firmament, On sentait plus d'amour encor que de tempête.
Et sans cesse, tandis que sur l'éternel faîte Celui qui songe à tous pensait dans sa bonté, La plume du plus grand des anges, rejeté Hors de la conscience et hors de l'harmonie, Frissonnait, près du puits de la chute infinie, Entre l'abîme plein de noirceur et les cieux.
Tout à coup un rayon de l'oeil prodigieux Qui fit le monde avec du jour, tomba sur elle. Sous ce rayon, lueur douce et surnaturelle, La plume tressaillit, brilla, vibra, grandit, Prit une forme et fut vivante, et l'on eût dit Un éblouissement qui devient une femme. Avec le glissement mystérieux d'une âme, Elle se souleva debout, et, se dressant, Éclaira l'infini d'un sourire innocent. Et les anges tremblants d'amour la regardèrent. Les chérubins jumeaux qui l'un à l'autre adhèrent, Les groupes constellés du matin et du soir, Les Vertus, les Esprits, se penchèrent pour voir Cette soeur de l'enfer et du paradis naître. Jamais le ciel sacré n'avait contemplé d'être Plus sublime au milieu des souffles et des voix. En la voyant si fière et si pure à la fois, La pensée hésitait entre l'aigle et la vierge; Sa face, défiant le gouffre qui submerge, Mêlant l'embrasement et le rayonnement, Flamboyait, et c'était, sous, un sourcil charmant, Le regard de la foudre avec l'oeil de l'aurore. L'archange du soleil, qu'un feu céleste dore, Dit : - De quel nom faut-il nommer cet ange, ô Dieu ?
Alors, dans l'absolu que l'Être a pour milieu, On entendit sortir des profondeurs du Verbe Ce mot qui, sur le front du jeune ange superbe Encor vague et flottant dans la vaste clarté, Fit tout à coup éclore un astre : - Liberté !
[center]- Victor Hugo[/center]
_________________ [center]Impermanence Comment décrire ce monde – un oiseau aquatique De son bec perle une goutte où se mire le reflet de la lune.[/center][center]Eihei Dôgen[/center]
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