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[center]Le Suicide Spectaculaire de Shimizu Muneharu[/center]
1582:
Une fois de plus le Japon était à feu et à sang. Oda Nobunaga (1534-1582), à coups de batailles remportées dans l'aire de Kyoto et d'Osaka, semblait bien être en mesure d'unifier enfin le centre du Japon sous son autorité, mettant fin aux turbulences sans cesse renouvelées des grands clans guerriers.
Un seul de ces clans, celui des Mori, farouchement indépendant et fortement ancré dans le district de Chugoku, faisait encore obstacle à cette ambition.
Oda avait chargé le général Toyotomi Hideyoshi d'éliminer cet obstacle sur la route du pouvoir.
Ce que ce dernier avait minutieusement entrepris depuis cinq ans, multipliant les expéditions punitives (Chugoku Seibatsu) avec des batailles innombrables et quantité de sièges de châteaux, dont on le disait spécialiste.
Mais le château de Takamatsu, fidèle aux Mori, dans la région d'Okayama, résista cependant mieux.
Or cette résistance farouche et inattendue finit par coûter indirectement la vie à Oda et livrer la capitale Kyoto à Toyotomi.
A cause du valeureux Shimuzu Muneharu, justement...
Takamatsu, grain de sable sur la route du pouvoir
Ainsi donc, Takamatsu résistait! Même s'il n'avait pas vraiment espéré autre chose, Toyotomi Hideyoshi trouvait que cela avait assez duré: ce siège était en train de lui coûter très cher.
Il commençait à douter de ses forces, mais la perspective de devoir appeler Oda Nobunaga à son secours lui répugnait: il tenait pas à rester pour toujours son éternel second.
Il avait lui-même des projets... L'homme au visage ingrat eut un vilain rictus et ses yeux globuleux lancèrent un éclair.
C'était décidé: il assurerait seul la soumission finale des Mori!
C'était pourtant l'impasse. Aucune action décisive depuis cinq années de marches et de contre-marches qui avaient épuisé le pays et qui commençaient à semer le doute dans les rangs de ses propres officiers.
Le Daimyo Toyotomi Hideyoshi, bras droit de Oda Nobunaga, n'avait jamais connu l'échec.
De fait, sa carrière parfaitement linéaire lui avait ces vingt dernières années amené les plus grands honneurs. Fils d'un simple bûcheron, il fut domestique dans un couvent, garçon d'écurie puis rôdeur de grand chemin avant de s'engager dans les troupes de l'un des nombreux seigneurs de la guerre de son temps, en qualité de vulgaire combattant à pied (Ashigaru).
Lorsqu'en 1558 il rejoignit la troupe d'Oda, un vrai chef de guerre celui-là, toujours comme soldat à pied, cet homme qui était resté un petit gnome bancal, laid à faire peur et dont le regard fulgurant faisait se détourner son entourage, connaissait déjà bien les arcanes de la vie.
Celle où il faut d'abord survivre avant de triompher...
Maintenant que, arrivé au sommet d'une hiérarchie militaire dont il n'avait osé rêver même dans ses tous premiers accès de mégalomanie, il traînait certes toujours sa disgrâce physique, mais cela n'avait vraiment plus d'importance.
Oda Nobunaga, qui avait l'oeil pour distinguer ceux qui pouvaient servir efficacement, lui avait rapidement donné sa chance, et il ne l'avait pas laissée passer.
Il était loin désormais le temps où, c'était en 1559, Hideyoshi était encore si pauvre qu'il avait du se tailler ses vêtements de noce dans le tissu de vieux drapeaux raflés sur les champs de bataille de Nobunaga... Depuis, il était là, invariablement, à coté de Oda, dans toutes les batailles.
N'avait-il pas, à la terrible bataille de Nagashino, il y avait sept ans, fait face à l'aile droite de Takeda Katsuyori, dirigée par le grand stratège du clan Takeda Baba Nobuharu lui-même, et ainsi largement contribué à la victoire de son maître?
C'est vrai: il y avait aussi ce Tokugawa Ieyasu, qui avait alors amené à Oda la tête coupée du dernier Takeda, un rival qu'il s'était juré de surveiller de près. Car tout pouvait aller très vite maintenant.
Son maître serait bientôt le maître du Japon!
Et Toyotomi Hideyoshi, le fils du peuple, avait su se mettre à temps en bonne position derrière le vainqueur.
Il n'y avait donc plus que ces Mori, sur lesquels Oda concentrait maintenant toutes ses forces.
Depuis la bataille de Miyajima, en 1555, ils étaient devenus la famille la plus puissante de l'ouest.
Les riches domaines de Mori Motonari étaient passés aux mains de son petit-fils Terutomo, qui montrait bien depuis cinq ans qu'il n'avait nullement l'intention d'y laisser folâtrer à leur guise les troupes d'Oda.
C'est pourquoi, excédé par une telle résistance, Hideyoshi avait fini par décider de s'en prendre directement au noeud même du dispositif de défense des Mori, qu'il fallait trancher d'un seul coup, une fois pour toutes!
Ainsi avait-il quitté sa base de Himeji en mars 1582 pour foncer au coeur du dispositif ennemi.
Le 4 mars ses troupes s'étaient emparées du château noir d'Okayama (le "Château du Corbeau"), sur la rivière Asahi.
De là, elles avaient aussitôt mis le siège devant celui de Takamatsu, à une douzaine de kilomètres plus à l'ouest, dans un coin de plaine marécageuse.
Et ce grain de sable bloqua soudain la machine de guerre de Toyotomi Hideyoshi, donc d'Oda Nobunaga.
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Oda Nobunaga[/center]
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Toyotomi Hideyoshi[/center]
Une histoire d'eau
La forteresse était tenue par Shimizu Muneharu, connu pour sa bravoure et son dévouement à la cause des Mori, dirigeant une garnison de 5 000 hommes.
Et la place pouvait résister longtemps, entourée qu'elle était sur trois côtés par des marécages et protégée sur le troisième par un fossé.
Tel, dominant la rivière Ashimori, Takamatsu-jo occupait une position réellement stratégique, et apparemment inexpugnable; la rivière...
Mais Toyotomi n'y pensa pas tout de suite, surpris que Shimizu put seulement penser à résister... Comment un Daimyo finalement aussi insignifiant avait-il pu se permettre de refuser avec hauteur l'offre plutôt alléchante que lui avait fait transmettre Oda Nobunaga:
"Nous envoyons les forces de Toyotomi Hideyoshi pour placer tout le Chugoku sous notre contrôle. Nous connaissons votre honorable nom depuis longtemps.
Si vous abandonniez les Mori pour devenir notre ami, nous serions heureux de vous confier toute la région de Bitchu..."
A quoi le maître de la place, qui s'attendait bien à ce genre de tentatives fort courantes, et souvent couronnées de succès, avait répondu d'un ton sans équivoque:
"Je vous remercie de cette proposition effectivement très généreuse, mais les Mori m'ont confié ce petit territoire du Bitchu. Si jamais l'un des vôtres se retournait un jour contre nous, je serai le premier à penser cet acte inqualifiable."
Hideyoshi était bien placé pour savoir que Muneharu avait une dette envers les Mori, mais tout de même...
Les Mori avaient en effet grandement soulagé ce dernier, il y avait quatre ans de cela, en mettant un terme au conflit entre son amour paternel et son sens du devoir: ils avaient autorisé Muneharu à rejoindre son château, laissant le soin aux autres alliés de poursuivre le combat dans lequel les Samuraï vassaux du clan Mori étaient engagés, afin d'y délivrer son jeune fils de huit ans sur lequel les hommes de Hideyoshi avaient mis la main en l'absence de son père.
Soudain, le visage du Général Toyotomi s'éclaira d'un vrai sourire.
Et il en fut presque beau: il venait d'avoir une idée...
"Je couperai les branches avant d'abattre le tronc!"
Et il fit tourner son cheval pour remonter la colline Ryuo, d'où il dominait le site par le nord et où il avait établi son quartier général.
Ses soldats réduisirent alors systématiquement les postes et les bastons avancés en couronne autour du château de Takamatsu pour s'avancer le plus près possible des marécages.
Déjà Muneharu avait résolument fait détruire le seul pont qui reliait sa forteresse à l'extérieur, après y avoir fait entrer de nombreux paysans des villages alentours qui demandaient protection.
Mais là n'était pas le danger: le cerveau fécond de Toyotomi avait imaginé autre chose pour réduire cette position inaccessible en raison des marécages:
"Puisqu'ils aiment tellement l'eau, bien... donnons leur encore beaucoup plus d'eau... noyons les!"
Il fit donc construire une digue pour barrer la vallée un peu en aval du château, afin d'empêcher l'écoulement normal de toutes les rivières qu y confluaient, y compris la plus importante, l'Ashimori-gawa.
Hideyoshi, sastisfait de sa trouvaille, surveillait ce travail colossal depuis son nouveau quartier général de Kaeru-ga-hana.
Ses soldats furent aidés par les paysans qui avaient préféré se désolidariser des Mori et accepté d'être payés par Hideyoshi.
Une trentaine de bateaux chargés de blocs de pierre furent coulés pour bloquer la rivière et on y empila des milliers de sacs de sable et de bottes de fascines qui furent d'abord maintenues en place pa une ligne de 2 000 soldats qui main dans la main, constituaient un barrage provisoire tandis que la digue définitive prenait forme un peu plus loin.
Douze jours de travail acharné furent nécessaires pour terminer l'ouvrage:
Le barrage enfin terminé avait quatre kilomètres de long, sept mètres de haut! On avait bien fait les choses...
Les assiégés virent se construire sous leurs yeux un mur gigantesque dont ils comprirent vite l'utilité.
Et Shimizu Muneharu n'avait rien pu faire de plus que d'envoyer, alors qu'il était encore temps, un pressant appel au secours à son Daimyo Mori Terumoto.
Lorsque vint la saison des pluies, et que des trombes d'eau commencèrent à s'abattre jour et nuit, l'eau monta rapidement dans le fond de la vallée et un lac artificiel isola Takamatsu-jo de tous côtés.
Le château avai l'air de flotter sur un vaste océan.
Mori Terumoto avait pourtant fait vite pour venir au secours de Shimizu en compagnie de ses deux oncles, kikkawa Motoharu et Kobayakawa Takakage, et 10 000 hommes.
Il avait établi dès le 21 mai son quartier général sur le mont Sarutake, attendant une occasion pour intervenir contre les 30 000 assiégeants.
Les deux armées s'observaient ainsi de part et d'autre du Takamatsu-jo, un enjeu qui était en train de se noyer sous leurs yeux... Car sous les pluies torrentielles, l'eau montait inexorablement le long des murs, envahissant la première enceinte où les réfugiés vivaient déjà les pieds dans l'eau. Sous cette pression, rats et serpents sortaient de leurs abris, tentant de se sauver par le haut, affolant la population qui ne pouvait suivre le mouvement parce que la moindre tête dépassant du haut d'un rempart était immédiatement prise sous le feu des arquebusiers ennemis.
Pour compliquer le tout, les provisions, dont une partie avait déjà été gâtée par l'eau, vinrent à manquer, toutes choses qui entamaient sérieusement le moral des assiégés.
Hideyoshi, désormais sûr de sa victoire, regrettait maintenant d'avoir appelé Nobunaga à la rescousse dans son premier moment de doute.
Mais c'était fait: lui faudrait-il partager les lauriers d'une victoire que rien ne semblait plus pouvoir compromettre?
Ukita Naoie et Hashiba Hidekatsu étaient déjà là, en avant-garde du gros des forces de Oda Nobunaga, qui avait promis de venir personnellement, derrière Akechi Mitsuhide qui faisait également route vers Takamatsu-jo.
Cela sentait la curée: la situation de Muneharu, le loyal vassal, était bel et bien désespérée...
Un Ninja du clan Mori profita de la nuit pour s'infiltrer dans le château grouillant de vermine et remettre à Muneharu un message de son suzerain:
"J'ai le regret de devoir vous dire que, dans ces circonstances, je ne puis plus rien pour vous. Je suggère que vous vous rendiez à Nobunaga, en attendant des jours meilleurs"
Muneharu prit à peine le temps de finir de lire qu'il traçait déjà au pinceau une réponse qu'il remit au Ninja:
"J'ai l'intention de partager le sort de ce château. Jamais, à aucun moment, je ne saurais devenir un ennemi des Mori"
Sous sa tente, Mori Terumoto congédia le Ninja revenu de sa mission.
Une grande lassitude s'abattit sur lui, et il s'affaissa un peu plus sur son siège, ému et désolé. Il ne pouvait vraiment rien faire de plus...
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[center]Mori Terumoto[/center]
L'Engagement
Takamatsu-jo pouvait être considéré comme perdu. Question de semaines, ou de jours peut-être.
Cependant, ce siège était en train de laisser se profiler à l'horizon une plus grande menace encore pour les Mori: en s'éternisant, il avait rameuté progressivement toutes les forces de Oda Nobunaga.
Il devenait donc évident que, disposant ainsi sur place d'un tel déploiement de troupes, Oda pourrait se permettre d'asséner le coup fatal au clan Mori.
L'heure n'était donc plus à chercher comment sauver la position de Takamatsu, somme toute secondaire.
L'heure était, pour les Mori, à la négociation, d'urgence. Elle fut menée pour leur compte par Ekei, un prêtre du temple Antoku-ji de Hiroshima, qui connaissait déjà à la fois Oda et Toyotomi pour une précédente négociation.
Toyotomi se savait cette fois meneur du jeu, et il comptait bien en profiter! Il posa donc ses conditions, sévères:
La moitié du domaine des Mori passerait sous l'autorité de Oda Nobunaga et, bien sûr, ce Shimizu Muneharu se ferait Seppuku...
Très vite la négociation porta autour de ce dernier point. Les Mori pouvaient en effet et à la rigueur admettre la cession d'une partie de leur territoire, ce qui était tout de même déjà en soi un coup très dur, mais pouvaient-ils implicitement admette le suicide d'un vassal aussi fidèle que Muneharu, qui avait refusé toute forme de compromis avec l'ennemi?
C'en serait fait de leur crédibilité envers tous leurs autres vassaux. Impensable!
On en était donc là des tractations, lorsqu'un élément nouveau et inattendu bouscula l'emploi du temps de Toyotomi:
l'annonce de la mort de son maître Oda Nobunaga.
Ce dernier avait en effet expédié à Toyotomi toutes ses troupes disponibles, se privant même des 2 000 Samuraï de sa garde personnelle (Hatamoto), pour rester à Kyoto avec une centaine d'entre eux seulement.
Un manque de vigilance inhabituel et qui, en ces temps où les traîtres se trouvaient dans tous les camps, allait lui coûter la vie.
En effet, un autre de ses généraux proches Akechi Mitsuhide, qui s'était d'abord et sur son ordre également mis en route pour Takamatsu, avait brutalement tourné bride avant d'y arriver, clamant soudain que son véritable ennemi était à Kyoto! Il avait abattu ses cartes et, mû par une ambition personnelle, était revenu en arrière avec ses troupes pour surprendre Oda qui se reposait dans le temple du Honno-ji de Kyoto.
Le traître attaqua aux premières lueurs de l'aube, le 2 juin, et Oda, blessé par une flèche alors qu'il se levait, fut abattu par un coup de mousquet.
Il put regagner l'intérieur du temple pour s'y donner la mort, à l'âge de quarante neuf ans.
Mitsuhide pensait alors avoir tout le temps de chausser les bottes de Oda avant que les autres généraux de ce dernier, en campagne un peu partout et notamment autour de Takamatsu, ne se resaisissent.
C'était sans compter avec la promptitude de réaction de Hideyoshi.
Celui-ci fut en effet mis au courant de ce coup d'état dès le lendemain par le propre messager de Mitsuhide, qui devait porter aux Mori une offre de coopération de la part du traître.
Mais ce messager se perdit dans la nuit et... aboutit dans le camp de Hideyoshi!
Il est possible que l'annonce brutale de l'assassinat de son maître ait alors profondément affecté Hideyoshi, mais toujours était-il qu'avec son sens du pragmatisme, ce dernier saisit immédiatement l'incroyable chance qui s'offrait à lui.
Il pouvait, maintenant, faire mieux que de rester brillant second, simplement en vengeant spectaculairement Oda.
A condition de faire très vite, de prendre de vitesse les autres généraux de Oda qui n'étaient encore au courant de rien, et avant qu'il ne leur vienne à l'idée de faire route sur Kyoto.
C'est qu'il y avait encore cette stupide résistance de Shimizu dans son château perdu de Takamatsu...
Hideyoshi tint secret la nouvelle et demanda au prête Ekei, le négociateur, d'obtenir rapidement le sacrifice de Shimizu, ce qui lui permettrait de conclure vite et lever le siège après avoir sauvé la face pour faire mouvement vers Kyoto, la capitale où la succession de Oda était ouverte. Ekei fut convaincant: le Seppuku de Shimizu Muneharu devait avoir lieu rapidement afin de mettre un terme à la situation embarrassante des Mori pris entre l'envie de sauver la vie de leur vassal et l'absolue nécessité de disperser les troupes assiégeantes.
Shimizu comprit alors qu'il gênait et que lui seul pouvait faire évoluer cette situation bloquée.
Il réclama de quoi écrire:
"Je ferai Seppuku demain, en même temps que mes six plus importants vassaux. Je vous prie de préserver les Mori ainsi que la vie de tous les habitants du château"
Ce fut le message que lut peu après Hideyoshi. Exactement ce qu'il avait espéré... demain... il lui restait alors juste le temps!
Il fit alors immédiatement envoyer au Takamatsu-jo un chargement de nourriture.
C'était encore dans la nuit du 3 au 4 juin, et il n'y avait eu que quelques heures depuis qu'il avait appris la mort de Oda.
Il avait manoeuvré avec la plus grande habileté, et l'engagement de Shimizu était venu à point.
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Mourir Pour Takamatsu-Jo!
Et l'aube se leva sur ce 4 juin. Etrangement, il avait cessé de pleuvoir. Les Dieux s'amusent parfois des hommes.
Shimizu Muneharu allait donc mourir pour sauver l'honneur des Mori et aussi permettre à Hideyoshi de s'envoler vers un destin national.
Mais cela, il ne pouvait le savoir. Toute la nuit la garnison avait fêté avec lui, faisant largement honneur aux victuailles envoyées par les assiégeants. Puis le Seigneur de Takamatsu rédigea ses poèmes d'adieu, selon l'usage, ainsi que les dernières instructions pour ses trois fils.
Enfin, comme si de rien n'était, il partit d'un pas léger, avec un dernier signe de la main à l'adresse de ses proches pétrifiés, suivi de six de ses vassaux.
Il était l'heure de mourir pour Takamatsu-jo.
C'est Toyotomi Hideyoshi lui-même qui fit envoyer la barque sur laquelle les sept hommes prirent place.
Puis ceux-ci ramèrent pour s'approcher du quartier général ennemi. Là,, laissant l'esquif aller sur son erre, ils burent une dernière coupe de saké sous 30 000 paires d'yeux qui leur faisaient face et 15 000 autres derrière eux...
Shimizu se leva alors dans la barque pour faire quelques pas de danse avec son évantail à la main, récitant d'une voix grave quelques vers d'une pièce Nô:
"Comme elle est éphémère la vie... Pour nous autres habitués à réver dans le monde... Une barque sur les vagues"
Ni du château ni du camp ennemi, on ne perdit le moindre de ses gestes. Ils virent tous comment le valeureux Shimizu Muneharu, le fidèle vassal de Mori Terumoto, s'ouvrit le ventre avec la dignité d'un vrai Samuraï, parce que sa vie, désormais, gênait... Il fut aussitôt suivi dans la mort par ses six vassaux, l'un après l'autre.
Les larmes roulèrent sur plus d'un visage guerrier dans l'un et l'autre camp.
Hideyoshi lui-même, dit-on, fut fortement impressionné par le spectacle.
Après l'inspection traditionnelle des têtes coupées, il fut creuser une tombe où furent aussitôt inhumés les restes de ces braves,
"Plus purs reflets des vertus Samuraï passées et présentes"
Puis il pria pour le repos de leurs âmes.
En réalité, le suicide spectaculaire de Shimizu arrangeait bien Hideyoshi.
Le 6 juin, en début d'après-midi, son armée leva le siège et se replia jusqu'à la frontière du fief d'Okayama.
Le lendemain soir il se retrouvait au château de Himeji, après avoir couvert quatre-vingt kilomètres dans la journée...
Il remontait vers Kyoto à la tête de son armée comme une tornade accompagnant la mousson.
L'ambition bien sûr, plus que la volonté de venger Oda Nobunaga, lui donnait des ailes.
Le 13 juin, il était de retour à Kyoto pour écraser les troupes du traîtres Akechi Mitsuhide, dont il fit crucifier le corps en donnant l'ordre de l'abandonner aux bêtes.
Il avait tout lieu d'être content: saisir l'opportunité est le secret de l'efficacité d'une action... Dix mois plus tard Hideyoshi contrôlait trente province, ce qui avait pris vingt ans de la vie de Oda.
Il était le nouveau chef du Japon: Kampaku!.
L'élève avait dépassé le maître!
De Takamatsu-jo il ne reste aujourd'hui plus rien.
Tout fut rasé et seule une pierre tombale se dresse dans l'herbe, là où, dit-on, serait enterrée la tête du vaillant Shimizu Muneharu, que Hideyoshi oublia vite.
Depuis ces jours terribles le cours de la rivière Ashimori est resté modifié.
Quant au prête Ekei, aui avait su arranger les choses, il fut promu au rang de Daimyo, en récompense de son action efficace dans le calcul politique de Toyotomi.
Seize ans après ces évènements, ce dernier, petit vieillard rabougri au visage simiesque, mourrait aussi, au faîte d'une puissance qu'il ne put transmettre à son fils.
Le vieux Kampaku avait alors tellement sombré dans la mégalomanie qu'il lui arrivait de prendre son cheval à témoin de sa gloire...
Lorsqu'il mourut en 1598, l'heure était venue pour Tokugawa Ieyasu, qui, refusant allégeance au fils du Kampaku, se fit octroyer le titre tant envié de Shogun.
Titre qui restera dans sa famille jusqu'en 1868.
Plus personne alors ne se souvenait évidemment plus de Shimizu Muneharu, le valeureux Samuraï.
Que pouvait peser un si petit pion sur un si vaste échiquier... même paré des plus belles vertus prêtées aux hommes exemplaires?
A quelques jours près cependant, le commandant de la place de Takamatsu aurait pu se passer d'un suicide à la fois classique et fort spectaculaire.
Mais qui décida d'une page d'histoire de son pays...
_Source texte: Roland Habersetzer, professeur d'histoire et spécialiste des arts martiaux de l'Extrême-Orient, est aussi 8ème Dan de Karatedo et directeur des "Centre de recherche Budo" et "Institut Tengu"
_Source images: Google.
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[center]Impermanence
Comment décrire ce monde – un oiseau aquatique
De son bec perle une goutte où se mire le reflet de la lune.[/center][center]Eihei Dôgen[/center]
Dernière édition par Lusitano Nanbanjin le 01 Jan 2008, 12:39, édité 1 fois.
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