Vivre le séisme et tout ce qui s’en est suivi au Japon a été une expérience, vous pouvez vous en douter, unique et inoubliable. Parmi la foultitude de choses que j’ai vu, entendu ou resenti ces derniers jours certaines m’ont marqué plus que d’autres et voici ce que je pense que je n’oublierai jamais. Dans l’ordre chronologique:
Le séisme
Ou plutôt “les séismes”. Vivant au Japon depuis tout de même un certain temps je suis habitué aux séismes, enfin aux petits séismes. Le séisme qui a frappé le Japon le 11 mars était “un vrai”, une chose que l’on oublie pas. Étonnamment il ne m’a pas fait tellement peur, j’étais plutôt curieux et quelque part fasciné. En revanche les répliques qui ont suivies et suivent encore sont plus inquiétantes même si elles n’ont rien à voir en intensité. Je pense que les gens ici sont très loin de vivre dans la peur mais tout le monde a prit conscience que les gros séismes existent aussi. À chaque secousse on se demande un peu si elle ne va pas devenir plus grande, ou si une ville à l’autre bout du pays n’a pas été ravagée.
Les premières images à la télé
Les trois premières heures qui ont suivi le tremblement de terre je n’aurais jamais imaginé l’ampleur des dégâts causés dans le nord du pays. Ce n’est qu’arrivé à la gare après le travail que j’ai vu les premières images de vagues géantes qui emportaient tout sur leur passage. Je regardais la dévastation au milieu d’une foule silencieuse dans laquelle personne n’arrivait à détacher ses yeux de l’écran. Alors que dans les moments qui ont suivi le séisme j’étais excité d’avoir vécu quelque chose d’exceptionnel j’ai réalisé que des gens qui vivaient dans le même pays étaient confrontés à l’horreur et ça a été un petit choc. En un instant on prend conscience de plein de choses et on se sent comme lié avec les gens qui vivent la tragédie.
La traversée de Tokyo à pied
Privé de train le soir du tremblement de terre j’ai dû rentrer chez moi à pied comme des centaines de milliers de personnes. Voir les rues de Tokyo envahies par la foule, les trottoirs plein de monde et toutes les voitures à l’arrêt, et un souvenir unique. Tout le monde marchait dans la même direction avec les mêmes pensées en tête. On voyait des gens avec des casques ou des kits de survie et les cabines téléphoniques retrouvaient une utilité soudaine devant la saturation des réseaux de téléphone portable. La scène était vraiment surréaliste.
La télévision française
Comme tout le monde j’ai cherché le plus d’informations possible sur le séisme, les tsunami et le problème à la centrale nucléaire de Fukushima. J’ai été énormément déçu par la qualité des nouvelles françaises, à la télé d’abord mais aussi sur les grands sites de news sur internet. Toutes les images et tous les articles, du moins la majorité, présentaient une vision faussée des évènements et cherchaient visiblement à montrer uniquement le pire de chaque situation. Je n’étais déjà pas un grand fan des news française avant. J’avais entre autre connu un scénario un peu identique en 2008 quand j’habitais en Chine durant la période des manifestations anti-français. Les images qu’on voyait à la télé laissaient supposer que les français se faisaient lyncher dans la rue et j’avais même penser un temps à dire que j’étais canadien, suisse ou belge, mais j’ai finalement décidé de garder mon identité et les gens ont toujours été chaleureux avec moi partout ou j’allais, même à Pékin le coeur des soi-disantes protestations.
Cette fois les médias ont poussé le vice encore plus loin en jouant toujours plus sur le sentiment de peur et en décrivant des scènes, particulièrement à Tokyo, que je ne reconnais pas du tout et qui sont même carrément à l’opposé de la vérité dans certains cas.
Ça me déçoit énormément pour être honnête. Avec toute la technologie actuelle et le désire d’être informé des gens qui est plus grand que jamais tout le monde devrait pouvoir accéder à une information juste et de qualité.
Le départ des français
J’ai été assez étonné de voir le retour en France ou le départ dans le sud du Japon d’autant de français et d’étrangers en général. J’en veux particulièrement aux médias français et à l’ambassade de France d’avoir créer un climat de pression extrême sur les expatriés. Je ne pense pas que les japonais soient choqués de voir le départ des étrangers. Ils auraient certainement fait pareil dans un autre pays si la situation est inversée et je pense que tout le monde peut comprendre que l’on cherche à mettre sa famille à l’abri ou à s’éloigner du danger pour rassurer ses proches. Mais même si, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, je comprends très bien les personnes qui sont parties j’aurais aimé que les français ne cèdent pas à la panique aussi facilement et aussi rapidement. Quand on vit à l’étranger on essaye, en tout cas j’essaye, de donner une bonne image de son pays et on est fier quand la France fait parler d’elle de façon positive. Certe, vu de France le gouvernement français a peut-être rassuré certaines personnes en montrant qu’il avait les moyens de réagir en cas de crise et en montrant qu’il veut protéger chaque français même à l’étranger. Mais ici j’imagine que la réaction du gouvernement et des expatriés est surtout vue comme excéssive par beaucoup de monde.
Je le répète je ne pense pas que les japonais gardent une certaines rancoeur du départ précipité des étrangers mais celui-ci a tout de même été remarqué. Cette semaine dans le quartier français, une cliente de l’endroit où je travaille s’étonnait de voir encore un français ici et m’a fait part de sa pensé sur un ton plutôt amusé. J’aurais préféré qu’elle s’étonne plutôt de voir beaucoup de français rester. Les japonais ont réussi à montrer au monde entier qu’ils peuvent être fier d’être japonais, j’espère que, des des conditions moins dramatiques évidemment, les français pourront aussi un jour montrer aux autres qu’ils savent avoir les bonnes réactions au bon moment.
Les insultes aux expatriés
Alors qu’on est dans une période où les gens devraient comprendre que l’entraide, le sang-froid et la réflexion sont les meilleurs armes pour affronter un problème j’ai été parfois choqué de voir la réaction de certains internautes sur les sites francophones et particulièrement les insultes à l’encontre des expatriés au Japon. Certains étaient insultés parce qu’ils partaient, d’autres parce qu’ils restaient ou encore parce qu’ils exprimaient un point de vue différent de l’état d’esprit général. Heureusement ces messages se perdaient un peu un milieu des très nombreux messages de soutien et très honnêtement je ne suis pas si étonné d’avoir lu ce genre de réactions à droite et à gauche. Là encore je suis surtout déçu de l’espèce humaine si je peux dire ça comme ça. J’ai hâte que l’homme atteigne un nouveau stade d’évolution, de confort, ou d’éducation, ou il essayera par nature de comprendre son prochain plutôt que de l’insulter.
Saitama Super Arena
Alors que des dizaines ou centaines de milliers se retrouvent sans logement dans le nord-est du Japon des centaines ont trouvé refuge au Super Arena de Saitama, un genre de stade couvert. Je me suis rendu sur place avec ma femme pour voir si je pouvais aider en accueillant une famille chez moi durant un certain temps. Chose qui n’a pas été possible car les personnes vont être relogées ailleurs dans quelques jours, on ne sait par encore dans quelles conditions, et les responsables préfèrent qu’elles restent toutes au même endroit pour le moment. C’est plus facile pour les contacter, diffuser l’information, les déplacer etc.
J’ai réalisé plusieurs choses sur place. C’est la première fois que je voyais une scène de ce genre avec des centaines de personnes qui vivaient dans les couloirs de l’énorme complexe, et se genre d’expérience aide vraiment à prendre conscience de ce qui se passe. On se retrouve confronté aux images que l’on voit à la télé et la catastrophe prend un sens plus réel, plus personnel.
Cependant même si j’ai été touché, je n’ai pas été bouleversé ou choqué, j’ai même était plutôt rassuré. Je m’explique. Quand on voit les images à la télé on s’imagine le pire. Et souvent c’est pire. Je me rappelle avoir traversé le Sichuan, en Chine, juste après le grand tremblement de terre de 2008. Voir les montagnes coupées en deux sur des centaines de kilomètres et les villages totalement détruit remplacés par des camps de tentes étaient une image extrêmement frappante en vrai. À Saitama au contraire j’ai trouvé un endroit plutôt chaleureux. J’ai d’abord remarqué des cartons partout. Les couvertures et la nourriture arrivent abondamment si bien qu’on voit même des panneaux “ne donnez plus” car les volontaires ne savent plus quoi faire de ce qu’ils reçoivent. Les volontaires entre parenthèse qui étaient très nombreux et comptaient parmi eux quelques étrangers blancs. Chaque famille avait réussi à aménager son petit espace privé avec de petits murs (environ 70cm de haut) fait de carton. Les enfants avaient des jouets et s’amusaient entre eux, la nourriture et la boisson étaient en “libre service” pour les petits encas, et je crois que deux repas chauds étaient servis par jour. Des téléphones et ordinateurs étaient aussi à disposition. Et ce qui me paraissait le plus important c’est que l’endroit était bien chauffé et très calme.
Bien sûr je ne dis pas que les gens vivaient bien, souvent ils ont tout perdu et ils sont sûrement pour beaucoup dans le pire moment de leur vie. Ce qui m’a rassuré c’est la capacité d’organiser un espace vivable pour les gens aussi bien, le nombre de volontaires plutôt impressionnant et surtout le calme des gens. Mais malheureusement je pense que les victimes dans le nord du pays ne connaissent pas un hébergement aussi “confortable”.
Même la situation sur la prise en charge des victimes m’a un peu rassuré je sais que le plus gros reste à faire et que c’est à partir de maintenant que l’argent va être nécessaire pour permettre aux gens de reconstruire leur vie. C’est pourquoi je fais de petits dons régulièrement et je vous engage, si le coeur vous en dit, de faire de même si vous le pouvez. Le site de la Croix Rouge est un bon endroit pour ça.
Interview pour la télévision
Enfin la dernière chose dont je me rappellerai certainement, plus personnelle, est le fait d’avoir été interviewé pour une chaîne nationale à Akihabara. C’était ma première expérience devant une caméra. Les journalistes voulaient connaître le point de vue des étrangers sur la situation au Japon et l’image du Japon vu de l’extérieur. J’ai répondu à une bonne douzaine de questions pendant peut-être 10 minutes et en admettant que mon intervention passe à la télé je me demande bien quelle partie ils vont garder. Et j’espère que sur un sujet aussi sérieux je ne vais pas avoir l’air trop con ou un bout de salade coincé entre les dents.